Selon Le Petit
Larousse (1998) un jeu vidéo est un « programme
informatique permettant de jouer seul ou à plusieurs, installé le plus souvent
sur une console électronique ou un micro-ordinateur ». Il semble que
nous puissions le considérer comme un jeu. Mais peut-on dire qu’il s’agit d’un
jeu comme un autre ? En effet, on remarque qu’il se distingue d’ors et
déjà des autres jeux par son support qui est informatisé. Nous n’avons pas
accès directement, physiquement à ce avec quoi nous allons jouer puisque il
s’agit d’images défilant sur un écran. De plus, le cadre, les types de
supports, les modes de relations entre les joueurs, etc., que proposent le jeu
vidéo sont peut être également différents des jeux plus
« classiques » que nous connaissons et que nous avons pratiqués
enfants, adolescents et adultes.
En considérant
le jeu vidéo comme un jeu, il peut être intéressant de mettre en évidence les
particularités du jeu vidéo afin de considérer en quoi il peut être différent
d’un autre jeu.
1. Le
jeu, un besoin humain
1.1.Le
jeu normal chez l’enfant
L’importance du
jeu et de son rôle structurant dans le développement de l’enfant ne fait aucun
doute pour les auteurs s’intéressant à l’ontogénèse psycho-affective et
cognitive.
Dans Jeu et réalité (1975), Winnicott fait la
distinction entre deux notions pour aborder le jeu : « play » et « game ». Selon lui, le « game » renvoit au jeu structuré
autour de règles permettant alors un
contrôle et un évitement de toute implication relationnelle. Ils sont alors des
tentatives pour tenir à distance ce qui peut être effrayant dans le jeu « playing ». Alors que le « play » est une expérience dynamique
qui se déploie librement. Ce dernier est considéré par Winnicott comme étant
universel et correspondant à la bonne santé mentale. L’opposition, dans l’œuvre
de R. Callois (1958), entre « paidia
(jeu désordonné) et « ludus »
(jeu réglé) correspond à cette distinction.
Le jeu est donc
considéré par Winnicott (1975) en tant qu’activité vitale fondamentale
permettant à l’enfant, pendant son développement, de se détacher de la vie
instinctuelle pour s’ouvrir à la vie sociale.
Le jeu paraît
chez l’enfant comme étant un comportement spontané et aide l’enfant à accéder à
une identité structurée. Il n’est possible que s’il a un sentiment de sécurité
à la base où son environnement lui fournit « la confiance d’être contenu en toutes situations » (Anzieu & Daymas, 2000). Le jeu apparaît
donc très tôt au cours du processus de maturation de l’enfant, lors des
interactions précoces mère-bébé. On peut d’ailleurs faire référence au jeu de
l’enfant que Freud nomme le « Fort-Da » qui se constitue autour de la
séparation d’avec la mère afin de réussir à maîtriser son absence (le jeu de la
bobine où l’enfant jette au loin la bobine qu’il fait ensuite revenir à l’aide
de la ficelle). La figurine de la bobine vient proposer un support sur lequel
projeter les fantasmes de l’enfant et autour duquel élaborer un univers
imaginaire. La manipulation réelle de la bobine correspond à l’assimilation
psychique par l’enfant d’un événement important du réel (la présence ou
l’absence de la mère) qu’il ne peut contrôler.
Dans ce fait, il s’agit des affects liés à la satisfaction ou à la
frustration (présence-absence de la mère) qui sont symbolisés ; c’est à
dire que la symbolisation dans le jeu l’amène à transformer son rôle passif en
rôle actif, ce qui lui confère la maîtrise totale de la situation
(toute-puissance infantile). Le jeu est alors à envisager comme étant la
représentation symbolique des affects de l’enfant. L’objet est alors la
représentation symbolique de son désir et peut être considéré comme un prolongement
de lui-même, et non comme un objet extérieur. Il est « l’objet transitionnel » (Winnicott, 1975) venant contrer l’angoisse de
séparation et autres angoisses archaïques, dans un espace, une aire qui
n’appartient ni à la réalité interne ni à la réalité externe et où l’angoisse
est transformé en plaisir ; dans une intégration des principes de réalité
et de plaisir.
Ainsi, le jeu
« constitue un terrain (…de jeu) où
peuvent s’affirmer et se confronter de manière créative, le sujet et la réalité
de son environnement » (Golse, 2008).
L’enfant joue alors : par plaisir ,
pour exprimer de l'agressivité (le jeu permet l'expression réprimée de la
violence), pour maîtriser l'angoisse, pour accroître son expérience et
pour établir des contacts sociaux.
1.2.Le
jeu pathologique
Les pulsions
constituent, selon Winnicott dans son article de 1958, La capacité d’être seul, la plus grande menace pour le jeu et pour
le moi. Il nous dit en effet que l’on repère un enfant qui va mal dans son jeu.
En effet, lorsque l’enfant joue, la totalité de son jeu est-il bien une
sublimation des pulsions instinctuelles ? On peut constater que lorsque
l’enfant s’excite de façon compulsionnelle où il semble « être au bord d’une expérience
instinctuelle » (Winnicott, 1958) en jouant c’est qu’il n’est plus
dans la quiétude dans laquelle il devrait se trouver lorsqu’il s’amuse. Un
enfant qui va bien a nécessairement un jeu heureux selon lui. Le jeu d’un
enfant qui n’est pas heureux est gêné par des excitations physiques qui
comportent des acmés, comme si l’enfant recherchait la stimulation corporelle
au lieu de la créativité du jeu. « Quand
les défenses pèsent trop lourd sur le fonctionnement psychique, l’enfant ne
peut laisser libre cours à son imagination, et risque de s’enliser dans des
activités répétitives, obsessionnelles, qui le « ferment » à son
monde interne » (Winnicott, 1958). Ainsi, les pulsions instinctuelles
ne sont pas sublimées dans le jeu pathologique. L’excitation physique est au
premier plan. De fait, l’enfant n’a donc pas de possibilité d’accéder à
l’activité fantasmatique et n’est pas capable de symbolisation. Par exemple
lorsqu’un enfant casse un jouet, cela semble traduire son incapacité à contenir
l’excitation et l’envahissement par la pulsion agressive et destructrice. N’étant
pas dans le jeu, l’enfant n’a pas de capacité pour faire-semblant, de faire
comme si et donc de se différencier des autres. C’est en particulier le cas
chez les enfants limites ou prépsychotiques.
1.3.Le
jeu chez l’adulte
« C’est en jouant, et seulement en jouant, que
l’individu, enfant ou adulte, est capable d’être créatif et d’utiliser sa
personnalité toute entière. C’est seulement en étant créatif que l’individu
découvre le soi » (Winnicott, 1970).
Avec cette affirmation de Winnicott, nous pouvons envisager le jeu non seulement
chez l’enfant mais également chez l’adulte.
Le jeu chez
l’adulte est un facilitateur et il joue avant tout pour se détendre, prendre du
plaisir ou encore se cultiver. Winnicott parle de créativité en expliquant
qu’il permet un dégagement d’avec la réalité. Il dit en effet que jouer permet
au sujet d’échapper à la soumission qu’imposent la réalité et ses exigences
parfois mal supportées. Par exemple, les pulsions agressives du joueur peuvent
être maîtrisées par le biais du jeu en tant qu’exutoire et/ défouloir ;
pulsions qu’il n’aura pas forcément la possibilité d’exprimer dans la réalité.
Un joueur peut, également, maîtriser une angoisse de castration à travers la
compétition et le combat en tentant de gagner à tout prix et d’être le plus
fort. Mais attention, Winnicott n’entend pas par créativité la création d’une
œuvre réussie et reconnue, mais plutôt comme étant l’attitude que le sujet
adopte face à une réalité et qui lui fait dire que la vie vaut d’être vécue. Il
établie donc un lien entre la vie créatrice et le fait de vivre et pense que la
créativité permet à l’individu d’éprouver le sentiment d’une vie riche et
enrichissante. De plus, il considère que la quête de soi, et donc par extension
de la personnalité, passe par la possibilité à l’individu de créer.
2. Du
jeu au jeu vidéo
2.1.Le
jeu vidéo
Le jeu vidéo
peut être défini comme l’ensemble des pratiques ludiques nécessitant un
dispositif informatif comme un ordinateur ou une console de jeu dans lesquelles
le joueur agit sur un environnement virtuel. Dans certains jeux vidéo, le
joueur a la possibilité de jouer seul ou bien à plusieurs.
Les supports
matériels pour le jeu vidéo sont nombreux : la console de jeu, la machine
d’arcade en salle d’arcade, l’ordinateur (individuel ou en salle de réseau), et
plus récemment le téléphone portable ou encore la tablette graphique.
L’ordinateur, nous intéressant ici, permet au joueur de s’imprégner davantage
du jeu que les autres supports, être au plus près de lui et de la
machine ; comme un « corps à
corps » (Gillet, 2010).
Les types de jeu
vidéo sont également multiples. On constate en effet les jeux d’aventure, les
jeux d’actions, les jeux de réflexion, etc. Mais ceux sur lesquels nous nous
centrons dans cette recherche sont les jeux de rôles ou RPG (Role Playing Game en anglais) dans
lesquels les joueurs incarnent un ou plusieurs aventuriers spécialisés dans un
domaine précis tels que la magie ou le combat. Plus précisément au sein de
cette catégorie il existe les jeux de rôles en ligne massivement multi-joueurs
(MMORPG). Ils correspondent à des mondes virtuels dans lesquels un très grand
nombre de joueurs peuvent interagir par l’intermédiaire de leur avatar.
2.1.1.
Un
monde numérique virtuel et ludique
« Est virtuel ce qui, sans être réel, a, avec
force et de manière pleinement actuelle (c’est à dire non potentielle) les
qualités du réel » (Berthier, 2004).
Nous avons
tendance, dans le sens commun, à mettre en opposition les termes virtuel et
réel. En effet on considère que ce qui est réel existe, et ce qui est virtuel
n’existe pas. On perçoit en effet le virtuel en opposition au réel.
Si l’on
s’attache à trouver une définition plus précise de ce qu’est le virtuel, on
remarque qu’il désigne une réalité en puissance, un potentiel, une éventualité
possédant assez de perfection pour pouvoir devenir. Ce qui a été principalement
retenu c’est son rapport au réel, se rapprochant de l’artificiel, de
l’imaginaire, du fictif mais également du vraisemblable.
Aujourd’hui le
terme virtuel est plus particulièrement associé au domaine informatique et
notamment aux jeux vidéo. Selon Lévy (1995), le virtuel peut être défini comme
« un mode d’être particulier »
; c’est à dire comme une expérience différente du réel. Il pourrait être appréhendé
alors comme une « simulation d’un
autre réel possible » (Grellier, 2006).
Les jeux vidéo, en intégrant à leurs univers des dimensions propres au réel
(décors réalistes, écoulement du temps, évolution météorologique, espace
explorable à l’infini, etc.) s’assurent que les joueurs parviennent à croire
que ce qui n’existe pas existe. Ainsi on peut entendre par virtuel, non pas ce
qui n’est pas réel mais plutôt ce qui est différent de ce dernier.
Dans cette
optique, l’idée de jeu n’est pas éloignée du virtuel. En effet, « le jeu est essentiellement une occupation
séparée, soigneusement isolée du reste de l’existence (…), accompagnée d’une
conscience spécifique de réalité seconde ou de franche irréalité par rapport à
la vie courante » (Caillois, 1967).
De ce fait, le jeu et donc le « faire semblant » renvoient également
à un certain rapport au réel, à la croyance que ce que le joueur vit, existe
pour de vrai. Ainsi, selon Roustan, virtuel et ludique ont en commun un
caractère de futilité gratuite, une capacité à brouiller les frontières entre
les différents statuts de l’existence.
2.1.2.
Phénomène
d’immersion
Le jeu vidéo
plonge le joueur dans un monde virtuel où il peut avoir l’impression
« d’être dedans ». Ce phénomène si particulier aux jeux vidéo
s’appelle l’immersion.
L’immersion peut
être comprise comme étant « un
processus psychique complexe comportant une face cognitive (décentrement de la
perception, analyse d’environnement), une face liée à l’économie du plaisir
psychique (épargne de mouvement réel) et une face liée à la dynamique de
réalisation de désir (accomplissement virtuel d’un désir) » (Virole, 2007). Il s’agit donc d’un processus
par lequel le joueur, lorsqu’il joue pourra accorder une part de vérité à ce
qui se passe à l’écran. En effet, la perception ainsi que l’analyse de
l’environnement du joueur sera décentré sur le plan virtuel et non plus réel.
Le joueur est effectivement physiquement présent mais psychiquement il est
absorbé par l’écran. Il n’a pas besoin de se mouvoir physiquement pour faire
bouger son personnage dans le jeu ; une seule main suffit : celle en
contact avec la manette ou la souris de la plateforme de jeu. Enfin, avec un
moindre effort le joueur pourra avoir beaucoup de gains ; son désir sera
accomplie virtuellement plus rapidement que réellement.
Afin de
favoriser l’immersion et donc l’adhésion plus importante du joueur au jeu, les
créateurs de jeux vidéo misent beaucoup sur l’interface. En effet, ils vont
injecter des éléments du réel dans ces mondes virtuels tant sur un plan visuel
(changements météorologiques, mouvement du vent dans les arbres, notion de
temps avec l’alternance du jour et de la nuit, etc.) qu’auditif (bruit des pas
du personnage, bruit de la pluie, etc.). Tout cela permettra un meilleur
couplage entre le joueur et la plateforme de jeu.
C’est donc en
accentuant la cohérence des univers de jeux, en les rendant plus crédibles
qu’ils en deviennent plus immersifs.
2.1.3
Le
jeu vidéo comme nouvel espace potentiel
Mais l’immersion ne suppose pas que l’univers du jeu
vidéo devienne la nouvelle réalité du joueur. Ce dernier sait, à priori, faire
la distinction entre les deux et nous pourrions envisager le jeu vidéo plutôt
comme nouvel espace potentiel pour le joueur.
En effet, de la même manière que l’aire de jeu, qui
n’est pas la réalité psychique interne du sujet et qui n’est pas non plus la réalité
externe, l’espace des jeux vidéo n’est pas une production intra psychique
puisqu’il existe en dehors de l’intervention du sujet mais plutôt une
élaboration psychique en interaction avec un monde numérique, qui n’est pas réellement le monde extérieur. On
pourrait alors envisager l’aire virtuelle comme un nouvel espace potentiel pour
le joueur, lorsque les premiers échanges avec l’environnement ont été
satisfaisants. Cet espace pourrait lui permettre d’apprivoiser le conflit entre
ce qui est objectivement perçu et ce qui est subjectivement conçu. Serge
Tisseron (2002) nous explique que les interactions que nous nouons avec les
différentes interfaces de jeu tel que l’ordinateur par exemple sont de mêmes
natures que celles avec nos partenaires humains. Il nous dit que « nous cherchons des espaces de confirmation
de notre identité et de réparation de nos satisfactions » (Tisseron, 2002).
Au regard de
tout ceci, il semble que la référence au jeu dans les jeux vidéo semble aller
de soi. En effet, le jeu vidéo tend à agir comme un support sur lequel le
joueur peut projeter ses fantasmes et autour duquel il peut ensuite élaborer.
Pourtant, et
comme nous avons pu le voir préalablement, rappelons que Winnicott (1975) distingue
le jeu libre (play) du jeu à règle (game). Dans quelle catégorie se situent
les jeux vidéo ? Ils sollicitent la créativité et l’imagination du joueur,
cela paraît indéniable mais est-ce automatiquement le cas ? En effet, que dire d’un jeu où le joueur doit
faire lancer à son personnage une balle le plus loin possible dans les airs,
avec un actionnement de boutons qu’il connaît par cœur car répété et répété
encore ? D’un point de vue psychanalytique, on se situe probablement
davantage du côté de la répétition mortifère que du côté de la création, de la
sublimation. René Roussillon (2008) nous dit alors qu’il faut considérer qu’il
y a « jeu et jeu ». On
trouve d’une part les jeux stéréotypés, contraints et sans véritable créativité
– comme le jeu dont nous venons à l’instant de parler - et d’autre part le jeu
ouvert qui autorise la création, la découverte d’une nouvelle forme de relation
à soi, à l’autre, au monde.
Dans quelle
catégorie du jeu selon Winnicott se situe les jeux vidéo MMORPG ?